Chroniques

par hervé könig

Isabelle Werck
Franz Liszt

bleu nuit éditeur (2011) 176 pages
ISBN 978-2-35884-014-9
Isabelle Werck retrace les étapes de la vie de Franz Liszt (1811-1886)

Il y a deux cents ans naissait Franz Liszt à Doborján, en Hongrie (à une trentaine de kilomètres au sud de Sopron), village aujourd’hui intégré au Burgenland autrichien sous le nom de Raiding. Le commentateur contemporain doit-il mieux prénommer notre grand compositeur Franz ou Ferenc ? Nous ne trancherons pas, puisque la région était clairement de langue allemande en ces années-là, qu’elle l’est toujours actuellement, ce qui tend à considérer Franz comme la juste manière, vraisemblablement utilisée par Anna elle-même, sa maman, mais que l’enthousiasme du musicien pour ses origines hongroises et l’importance de son engagement régulier dans la cause de ce pays invitent à choisir Ferenc… bien que ledit Liszt, qui s’exprimait surtout en français, jamais ne parla véritablement le magyar ! Bref : il est Franz en pays germains, Ferenc à Budapest et à Paris François, bien sûr.

Dans la collection Horizons des éditions Bleu nuit où, un an plus tôt, elle publiait une biographie de Gustav Mahler que nos pages saluèrent favorablement [lire notre critique de l’ouvrage], Isabelle Werck signe un Franz Liszt d’une salutaire concision qui dit l’essentiel sur une vie de roman, sans qu’il soit nécessaire de faire plus de littérature encore qu’on en fît déjà largement par ailleurs. De ce « créateur bohême et faustien » (pour reprendre les termes de l’auteure), elle nous fait suivre le destin exceptionnel d’un être qui ne l’est pas moins. De la nuit du 21 au 22 octobre 1811, donc, à celle du 31 juillet au 1er août 1886, de Raiding à Bayreuth, voilà le lecteur prestement embarqué depuis l’enfance un brin souffreteuse du prodige jusqu’à l’improvisation par Anton Bruckner d’adieux organistiques à partir d’un thème de Parsifal de Wagner, son illustre gendre, lors de l’office funèbre, passant par les années d’apprentissage à Vienne, l’essor de la facture française de pianos dans le Paris de la Restauration où le sévère Cherubini refuse d’entendre le cher enfant (il a douze ans) qui souhaitait auditionner pour entrer en son conservatoire, la poursuite des études musicales auprès de fort bons maîtres étrangers qui vivaient là – le Parmesan Ferdinando Paër (1771-1839) et le Pragois Antonín Rejcha (1770-1836) –, l’abandon de toute scolarité qui en rien n’entrava l’engouement qu’il suscita dans les salons mondains dont Adam, son père tant dévoué, lui fait ouvrir les portes. La première grande tournée du jeune Liszt se fait outre-Manche, au retour de laquelle il perd son père. Obligé de subvenir à ses besoins et à ceux de sa mère, il s’engage pleinement dans la carrière d’interprète et d’enseignant, délaissant pour un temps la composition. L’Histoire va son cours… en 1830, il a dix-neuf ans et griffonne une Symphonie révolutionnaire, devenu « à la fois dandy et de gauche » ! La rencontre avec Hector Berlioz (1803-1869) est décisive, et bientôt celle avec la belle Marie d’Agoult, complexe et passionnée, qui exilera bientôt les amants vers le Sud, via la Suisse et la très artistique Italie – Années de pèlerinage, donc.

Précisément renseigné et rigoureusement synthétique, ce livre reste sagement concentré, sans faire l’impasse sur quelque aspect que ce soit d’un parcours sans pareil. Il conviendra donc aussi bien au néophyte soucieux d’en savoir plus sur Liszt qu’au mélomane éclairé qui souhaiterait faire un peu de tri dans l’étourdissante foultitude d’informations qui viennent immanquablement asphyxier sa spontanéité d’écoute. Plus que probant ou réussi, l’exercice est magistral !

HK